Iris Brey, pour un regard féminin au cinéma - Interview

Modifié par Manuelslibresidf

Vous publierez en avril un ouvrage à destination des jeunes ados. L’éducation à l’image est-elle essentielle pour apprendre qu’il n’existe pas qu’un regard ?

IB – C’est un livre pédagogique, mais aussi l’endroit où je me suis permis de créer un autre imaginaire. Si j’avais lu ce livre à 12-13 ans, si j’avais regardé les films qu’il recommande – que j’ai découvert très tardivement dans ma vie – qu’est-ce que ça aurait changé ? Sans doute beaucoup de choses. La formation de notre imaginaire commence très jeune. Si l’on veut vraiment déconstruire, il y a toute une chaîne à remonter. Et c’est compliqué, douloureux même. Conscientiser, se poser la question de la manière dont les images ont construit notre rapport au cinéma, mais aussi au plaisir et au désir, ce n’est pas un exercice facile.


Vous parlez de conscientisation. Mais le propre de la création, n’est-ce pas justement que certaines choses échappent à celui ou celle qui crée ?

IB – Les artistes ont une liberté totale de créer, et ce serait très réducteur et triste de penser que tous les films entrent forcément dans une grille de lecture male gaze ou female gaze. Mais je pense qu’il est urgent de réfléchir à la façon de mettre en scène les violences faites au corps féminin, et que ça peut changer beaucoup de choses. Ce qui était inquiétant jusqu’à maintenant, c’est que la plupart des scènes de viol n’étaient pas comprises comme telles par les personnes qui les filmaient. Conscientiser certains gestes, qu'on soit artiste ou citoyen, ça nous marque, et ce n’est pas quelque chose qui va rendre l’œuvre moins intéressante.

Les artistes ont une liberté totale de créer, et ce serait très réducteur et triste de penser que tous les films entrent forcément dans une grille de lecture male gaze ou female gaze. Mais je pense qu’il est urgent de réfléchir à comment on met en scène les violences faites au corps féminin, et que ça peut changer beaucoup de choses. Iris Brey

Sur la série The Deuce, le créateur américain David Simon a fait appel à une coordinatrice d’intimité, présente pendant les scènes de sexe pour vérifier que les comédiens et comédiennes savaient comment leur corps allait être filmé. Cette démarche demande au réalisateur un certain effort de réflexion et de découpage en amont, mais David Simon dit que ç'a été très enrichissant et qu’à l’avenir, il veut travailler comme ça sur tous ses tournages. Et le résultat est visible à l’écran ! Les scènes de sexe de la saison 2 sont beaucoup plus intéressantes.


Pourquoi les séries sont-elles plus promptes à faire bouger le regard ?

IB – Il me semble que dans l’art sériel il y a une vraie réflexion autour de la distribution du pouvoir. Une série peut être l’idée originale de quelqu’un, mais être écrite par d’autres scénaristes, et que ce soit encore quelqu’un d’autre qui réalise… Cela permet de réfléchir d’une manière qui ne soit plus pyramidale, mais horizontale, et de voir ce que ça change.

Le regard féminin n’est pas une menace contre ce qui a été majoritaire jusqu’à présent : la multiplication des imaginaires ne peut être qu’une bonne chose. Iris Brey


Votre livre a provoqué des réactions parfois violentes, on vous a reproché d’avoir une approche punitive…

IB – L’idée n’est vraiment pas de brûler les films d’hommes, mais d’enrichir une cinéphilie. Ressentir des expériences du féminin au cinéma peut permettre soit d’accéder à l’altérité, et c’est enrichissant, soit de voir une expérience intime, qui n’était pas valorisée jusque-là, représentée d’une manière qu’on n’avait pas encore vue. Le regard féminin n’est pas une menace contre ce qui a été majoritaire jusqu’à présent : la multiplication des imaginaires ne peut être qu’une bonne chose. ◼

Source : https://lesmanuelslibres.region-academique-idf.fr
Télécharger le manuel : https://forge.apps.education.fr/drane-ile-de-france/les-manuels-libres/francais-seconde ou directement le fichier ZIP
Sous réserve des droits de propriété intellectuelle de tiers, les contenus de ce site sont proposés dans le cadre du droit Français sous licence CC BY-NC-SA 4.0